A lire : La désintégration du Système, Giorgio Freda, partie I

Publié le

A lire : La désintégration du Système, Giorgio Freda, partie I


Chez celui qui sait bien observer il ne reste que stupeur en faisant la constatation suivante : on a pu croire possible le renversement du monde bourgeois alors qu'en réalité on affirmait les instances qui d'une façon univoque l'ont le plus consolidé.


PRESENTATION

Le document que nous présentons dans les pages qui suivent constitue le texte de l'intervention de Giorgio Freda à la réunion du Comité Directeur du Front Européen Révolutionnaire, le 17 août 1969 à Regensburg.
Nous pensons opportun de le publier dans sa traduction fançaise avec l'intention de reproposer aux lecteurs ses considérations sur l'Etat et de donner des indications pratiques nécessaires à tous ceux qui ayant suivi la voie d'expériences politiques similaires à celle de l'auteur sont disposés à surpasser l'incertitude du moment présent et à se considérer mobilisés dans l'action pour la destruction de la société bourgeoise.
C.D.P.U.

ANALYSE

"En ce monde d'exploiteurs et d'exploités, il est inévitable qu'aucune autre forme de grandeur ne soit possible en dehors du phénomène économique. Ainsi, deux catégories d'hommes, d'arts, de morales sont opposées; mais il n'est pas nécessaire d'avoir une intelligence aiguë pour se rendre compte que la source qui les alimente est unique. I1 en est également de même d'un seul type de progrès d'où les protagonistes de la lutte économique tirent leur raison d'être.

Ils se rencontrent dans la prétention fondamentale d'être chacun le vrai créateur de la prospérité sociale pour laquelle chacun est convaincu de pouvoir miner les positions de l'adversaire lorsqu'il réussit à lui contester tout droit de se présenter comme tel."

La raison fondamentale qui nous a poussé à convoquer ce congrès est déterminée par une profonde certitude - la mienne et la votre - que le moment présent impose à notre organisation la nécessité de braquer toute notre attention sur les plus importants problèmes de notre vision de la vie et du monde, de reconnaître d'abord les vrais points de référence, les règles d'où dérive notre présence politique, de trouver le but idéal à atteindre.

En second lieu, ou mieux : à la suite et simultanément, il est indispensable d'articuler notre vocation, notre volonté de lutte politique dans une ordonnance élastique, agile, sans complexe, sans inhibitions - en un mot : sans préjugés -.

Nous nous trouvons au moment où la nécessité de représenter les erreurs passés, de comprendre les raisons profondes qui ont pu les permettre se confond avec le devoir d'enfoncer nos racines - nos, c'est-à-dire celles d'hommes qui se dédient à la politique sans réserves mentales, sans intentions équivoques, sans alibis petits-bourgeois, avec, je voudrai presque ajouter, l'âme impersonnelle de celui qui accomplit son propre devoir parce qu'il DOIT être accompli - au milieu de notre doctrine politique et lui rester fidèle sans hésitations dans tout ce qui est essentiel. Une claire adhésion à l'essentiel, qui doit permettre, ou plutôt qui doit tonifier notre capacité de rester souples et agiles dans ce qui est fonction et instrument.

Je crois en effet ne rien dire de nouveau en soutenant que plus nous sommes enracinés au centre, plus nous pouvons nous mouvoir avec facilité vers les points périphériques, sans trop nous éloigner de ce centre, pour le valable, pour l'essentiel.

J'ai dit au début : "il faut serrer les rangs pour faire naître une organisation politique souple" ; maintenant, je veux ajouter : "il faut serrer les rangs pour posséder une organisation politique capable d'aider les hommes destinés à la conquête du pouvoir."

Jusqu'à maintenant nous avons marché. Nous ne devons pas craindre les conséquences d'une autocritique lorsqu'elle est libre et digne ; c'est pourquoi nous dirons : "Nous avons reculé !"

Nous sommes restés unis aux "autres", passivement, aux schémas politiques des "autres", aux faux problèmes des "autres", à la réclame idéologique des "autres", nous avons reconnus nôtres les finalités pour le moins équivoques des "autres". Le comportement de tous - d'abord des chefs et par conséquent de tout le corps - a été dans la meilleure des hypothèses celui d'ingénus, dans la pire, celui d'obtus.

Au début, notre discours politique s'axait sur l'Europe, et nous croyions que l'Europe fût vraiment un mythe et représentait une idée-force authentique ; alors que beaucoup plus tard nous nous sommes aperçue que ce nom reflétait une simple définition géographique, à laquelle il n'était pas permis d'attribuer quelque capacité de propagandiste original, en une époque où même les bureaux de copistes, les buanderies, les snack-bars, les hôtels et les stations thermales s'appellent "EUROPE" !

Nous parlions de conception politique européenne à opposer aux diverses conceptions nationaliste-cocardières, mais nous n'avons pas remarqué (ou n'avons-nous pas voulu remarquer ? ) que cela ne pouvait avoir de de valeur qu'en face d'une droite nationaliste "petit-bourgeois" – surtout celle de chez-nous - et qu'en définitive tout finissait avec les termes d'une polémique "qualunquiste" (dépassée elle aussi dès l'instant où les jeunes "néo-fascistes" ont commencé à crier "Europe-Fascisme-Révolution"! ).

Nous avons parlé de "civilisation européenne" sans même égratigner l'épiderme de cette expression et sans vérifier en nous plongeant dans le fond du problème s'il existe en réalité une civilisation européenne homogène et quels en sont les authentiques coefficients de signification, à la lumière d'une situation historique mondiale pour laquelle le "guerillero" latino-américain adhère à notre vision du monde beaucoup plus que l'Espagnol lié aux prêtres et aux Etats-Unis ; pour laquelle le peuple guerrier du Vietnam du Nord, avec son style sobre, Spartiate, héroïque dans son mode de vie, est beaucoup plus près de notre conception de l'existence que le boyau italiote, franc ou occidentalo-tudesque ; pour laquelle le terroriste palestinien est plus proche de nos rêves de vengeance quo l'anglais (Européen ? Personnellement j'en doute ! ) juif ou enjuivé.

Nous avons soutenu l'hégémonie européenne en nous adressant à une Europe qui avait déjà été américanisée ou soviétisée, sans tenir compte que cette Europe était devenue l'esclave des Etats-Unis ou de l'URSS, parce que les peuples et les nations européennes avaient absorbé - successivement et non en conséquence immédiate de la défaite militaire -, les exportations idéologiques des Etats-Unis et de l'URSS. Sans tenir compte que l'écroulement politique, économique, cultursl s'était produit parcequ'il y avait eu chute de la tension, parce qu'avait été emporté le support qui avait été mis en évidence chez quelques peuples, chez quelques hommes politiques européens, à certaines époques historiques (et seulement chez quelques hommes et seulement en des époques historiques déterminées !) la dimension supérieure de civilisation que nous prétendions attribuer à l'Europe tout court.

Le moment est arrivé d'en finir de s'amuser avec le pantin Europe et de se gargariser en scandant son nom. Nous n'avons rien à faire avec l'Europe illuministe. Nous n'avons rien à voir avec l'Europe démocratique et jacobine ; rien à partager avec l'Europe mercantile, avec l'Europe du colonialisme ploutocratique. Nous avons simplement à combattre l'Europe juive ou enjuivée.

Cependant, lorsque l'on parle en terne de "civilisation européenne" on tient compte de tout : ne dites pas que l'en parle aussi de ceci : on parle, malheureusement, seulement de ceci ! Ou peut-être "voulions-nous" voir autre chose ?

De toute façon, si l'on voulait considérer cet autre chose, jusqu'à maintenant nous n'en avons pas réellement parler d'une façon complète. Et je suis sûr que si nous eussions vraiment regardé et compris cet autre "côté", nous n'aurions pas fourni un contenant à ce contenu, ou mieux une étiquette, ou mieux encore une "image de marque" représentée par le mot "EUROPE".

De telles nombreuses composantes bâtardes, à repousser, à enterrer, sont apparues ; de nombreux facteurs, trop de facteurs à mon avis, sont intervenus pour frelater et corrompre ce liquide européen jusqu'à le transformer en une eau fécale, pour qu'il puisse encore subir positivement un processus de décantation. L'Europe est une vieille gourgandine qui a putassé dans tous les lupanaors et qui a contracté toutes les infections idéologiques - de celles des révoltes médiévales des Communes à celles des monarchies nationales anti-impériales ; de l'illuminisme au jacobinisme, à la franc-maçonnerie, au judaïsme, au sionisme, au libéralisme, au marxisme - ; une putain dont le ventre a conçu et enfanté lé révolution bourgeoise et la révolte prolétaire ; dont l'âme a été possédée par la violence des marchands et par la rébellion des esclaves. Et nous, à ce point, ne voulons-nous pas la racheter en lui sussurrant des mots magiques; en lui disant par exemple qu'elle doit se donner exclusivement aux "européens"...de Brest à Bucarest?

Nous avons levé le drapeau de l'Europe sans comprendre que celle-ci ne pouvait, pour nous, représenter quelque signification valable et homogène : sens noter le nombre de fils et de ficelles qui composaient le tissu usé, et combien de fumier il racolait !

En somme, nous avons préféré cacher notre incapacité de vouloir choisir ce qui était pour nous authentique et vrai et de savoir repousser tout ce qu'il y avait d'illégitime et d'équivoque pour notre tradition (en ce cas : pour notre histoire) européenne, en nous illusionnant, en croyant combler un tel vide par le recours à la formule, au mot "Europe", sans considérer, comme je l'ai déjà dit, qu'il existe aujourd'hui une Europe démocratico- bourgeoise ou démocratico-socialiste, comme il existait, hier, une Europe fasciste et nazie et une Europe démocratique, comme, avant-hier, il existait une Europe jacobine et une Europe contre-révolutionnaire, sans tenir compte que sont nombreux, mêmes les technocrates de la CEE, ceux qui rêvent d'une Europe à leur manière : une Europe fondée sur la hiérarchie sinistre qui imposerait à la base de la pyramide l'exploitation "rationnelle" du travail italien, et au sommet l'investissement du capital international.

Au lieu d'adopter cette formule équivoque (qui devait seulement servir à nous distinguer de ceux qui défendaient d'autres formules – les nationalistes tout aussi équivoques -) il était nécessaire de dire au nom de quels principes, autour de quelle vision du monde, dans quelle direction d'efficacité, les meilleurs d'entre les hommes européens devaient s'assembler en une unité organique, politique, supranationale.

C'est à cette réalité différente que nous aurions pu encore donner le nom d' "Europe", si la "Vieille Europe", l'Europe des siècles obscurs (pour renverser la signification d'une phrase connue d'un vieux bouffon), l'Europe des Communes anti-impériales, l'Europe de l'église romaine, l'Europe du protestantisme, du mercantilisme, de 1'illuminisme, de la démocratie bourgeoise et prolétaire, l'Europe franc-maçonne et judaïque, ce spectre monstrueux ne s'était pas arrêté devant ces hommes d'une race bien différente.
Je me suis déjà arrêté sur ce point, parce qu'il représente le caractère le plus évident de nos erreurs et parceque le sujet "Europe" a constitué pendant les années de l'activité politique de notre organisation, le point central vers lequel confluaient nos projets politiques. Je considère par conséquent inutile de m'arrêter pour considérer spécifiquement les autres éléments de ce que nous appelions à ce moment notre programme, qui eux aussi sont les conséquences, sur des plans distincts, de ces équivoques dont nous avons parlé.

Maintenant, après avoir reconnu notre myopie et nos erreurs, il importe de passer, avant de vérifier la direction à prendre, à l'analyse de la situation actuelle et dos critères opérationnels que suivent les autres.
Je continue à dire "les autres" - et pas nos adversaires ou nos ennemis - parce que je veux insister et éclairer jusqu'aux extrêmes conséquence, ce que les mots peuvent suggérer ou les images peuvent évoquer ; comment entre nous et les autres il y a (il doit y avoir) plus qu'une simple différence de mentalité, de manière d'agir, d'idéologie politique. C'est une âme différente, c'est une race diverse, celle qui permet à nos actions leur signification typique et qui leur a attribué leur physionomie propre, irréductible aux figures et aux termes communs, aux diverses idéoléologies politiques de notre époque.

La considération qui nous guide est la suivante : aujourd'hui, nous vivons dans le monde des autres, entourés par las autres, par ces dignes représentants de l'époque bourgeoise, sous la domination de la plus morne, de la plus avilissante des dictatures : la dictature bourgeoise, celle des marchands.
Tout ce qui nous entoure est bourgeois : société politique, économie, culture, famille, comportements sociaux, manifestations religieuses.
Dans les démocraties "occidentales" le spectacle qui se présente à nos yeux est soumis par une éooeurante cohérence aux canons plus orthodoxes de la conception de vie bourgeoise. Dans ces démocraties, l'Etat sert à maintenir inchangé, au travers de tous ses propres instruments oppressifs et répressifs le rapport d'hégémonie d'une classe sur le peuple, celle des des bourgeois, et plus particulièrement, d'une partie d'elle, celle qui constitue une oligarchie ploutocratique. Le support exclusivement classiste, sur lequel elle se base , ne permet pas des réalités et des valeurs diverses de celles économiques : la dictature bourgeoise qui émerge victorieuse à la suite d'un procès de renforcement et d'intensification hégémonique de la révolution française [il va sans dire qu'une telle référence historique répond seulement a l'exigence fonctionnelle de représenter en termes qui relatent historiquement un phénomène général, dont les origines dépassent, cependant le moment de sa manifestation.], elle maintient inchangé depuis environ deux cents ans l'unique rapport, qui unit le bourgeois à un homme : rapport de maître à esclave, d'exploiteur à exploité. Nonobstant toutes les édulcorations d'assistance, de prévoyance, paternalistes en général, voici la vraie réalité du régime bourgeois.
C'est la même réalité qu'en 1849 déjà Marx enveloppe magistralement dans le "Manifeste du parti communiste" : "Le pouvoir politique actuel de l'état moderne ne peut être qu'une junte administrative des affaires, commune de toute la classe bourgeoise... Partout où se trouve une junte à la domination résultent (qu'ont été?) détruites toutes les conditions de vie, qui étaient féodales, patriarcales, idillyques. Elle a détruit sans pitié tous les liens multicolores qui sous le régime féodal liaient les hommes à ceux qui leur étaient naturellement supérieurs et n'a pas laissé entre homme et homme d'autres liens que ceux de l'intérêt immédiat st de l'indispensable paiement au comptant.. Elle a troqué la dignité personnelle contre une simple valeur d'échange ; et aux nombreuses et diverses libertés bien acquises et reconnues et documentées, elle a substitué la seule et unique liberté de commerce, d'une conscience dure et sans pitié."

Si la société bourgeoise [Il serait plus opportun d'employer le terme de"société" dans son sens naturaliste et mercantile pour destiner, par contre,la terme d'Etat à la signification de réalités différentes et supérieures à celles constituées par la recherche et par le fait de satisfaire aux raisons économiques] permet aux personnes soumises une amélioration des conditions de vie végétative (en incluant ici mêmes celles qui sont comprises dans le règne mental !), ce n'est pas parce que les présupposés exclusivement egoïstico-économiques sur lesquels la société bourgeoise se fonde sont venus a manquer.

D'habitude, on dit justement que le "diable" est d'autant plus dangereux qu'il se montra respectable ! Et, en effet, le plus grand bien être est dû, par conséquent, au fait, que dans le développement historique de la société bourgeoise, les tendances à l'hégémonie politique s'étant consolidées en une effective surpuissance politique, ont simplement acquis des formes de force diverses des précédentes ; mais comme les précédentes, elles expriment des manifestations cohérentes d'une même et identique réalité : à l'intérieur d'un schéma de tension production-consommation.

Le capitalisme comprend donc qu'en augmentant le salaire du travailleur, ce dernier achète la frigo ou l'automobile produits par le capitalisme; le patron se rend compte qu'en étourdissant celui qui travaille avec l'obssession de besoins toujours nouveaux - et par conséquent non réels mais illusoires, artificiels -, et en l'obligeant à se donner du mal pour les acquérir, il pourra complètement empoisonner le prolétaire du travail.
Alors, ce dernier, calme et bon, tranquille comme un boeuf (un boeuf qui périodiquement pourra faire entendre ses mugissements pour des revendications de salaires ; quelquefois lui sera même permise l'illusion de se comporter en taureau libre, et il lui sera donné de pouvoir endommager l'étable !), ne développera aucune tentative pour substituer sa propre autorité à celle du bourgeois.

L'Etat, donc, dans les démocraties "représentatives" bourgeoises, est le forum politique réservé au bourgeois, il consiste à défendre l'économie bourgeoise, à sublimer l'économie bourgeoise. Aidée par les moyens de pénétration que les applications techniques de la science bourgeoise lui offre, la bourgeoisie, après avoir placé l'homme au niveau du manoeuvre a réussi à compléter le procès d'identification entre le moment "individuel" et le moment "social" et à remplir chaque domaine de sa présence. Le marchand a imposé à tous ses propres inclinations, ses propres aspirations : des vocations étrangères, différentes (nous ne dirons même pas supérieures, mais différentes !) n'ont aucune place dans l'espace politique qui appartient au bourgeois, qui appartient seulement à celui qui est "bourgeois".

L'art lui-même, nonobstant la justification hypocrite (ou tentative de le valoriser) en schémas d'autonomie que les bourgeois se préoccupent de lui attribuer, est rigoureusement fonctionnalisé pour le plaisir (ou mieux pour la masturbation intellectuelle) des bourgeois ! La "libre" science n'est autre chose qu'une recherche pour le progrès de la civilisation bouregeoise, c'est-à-dire au renforcement des structures de la société bourgeoise ou bien elle n'est qu'une techologie efficiente asservie aux "conquêtes" de la "civilisation" bourgeoise.

La justice elle-même n'est rien d'autre que la cristallisation dans les codes d'idées dominantes au sein de la société bourgeoise, des idées de la classe "toute puissante" qu'est la bourgeoisie. N'importe quelle fausse note, n'importe quelle disfonction du système,est attribuée par elle à quelque sabotage des ennemis du système, de la minorité dont l'ordre tout court n'est pas l'idole qu'il faut adorer, dont les sublimations légalitaires ne représentent qu'injustices profondes et avilissantes.

Dans la mesure enfin où tous ces coefficients d'équilibre ne suffisent pas, la société bourgeoise met en fonction sa plus grande, sa plus éprouvée soupape de sûreté, le sport, phénomène de transfert de masse, de déviation, d'usure des énergies restantes vers un objectif dont l'intérêt est vif, presque démoniaque.

D'autre part, si l'économie est le destin des bourgeois, elle est de même le destin des pauvres, c'est-à-dire des exploités, ou si l'on veut des prolétaires.
Ce n'est pas au nom d'une réalité différente ou d'un autre fétiche que les prolétaires s'élancent à l'assaut du buffet bourgeois. C'est la conscience rageuse de ne plus vouloir servir aux bourgeois, de ne plus vouloir servir d'engrais à leur fortune, qui provoque la révolte prolétaire.

Si les bourgeois récitent le leitmotiv de l'égalité, on tant que concept juridique, culturel et sentimental, les prolétaires, eux, ne se contentent pas de bonnes intentions mais exigent que la formule, en devenant module d'action concrète, élimine la distiction entre celui qui possède et celui qui ne possède pas, ou entre celui qui possède plus et celui qui possède moins. Cependant le présupposé économico-quantitatif reste ! C'est toujours sous l'effet du délire mystique de l'économie que le prolétaire tend à imposer l'une de ses articulations de rapports économiques, l'une de ses organisations de la justice, l'un de ses modes de concevoir, par conséquent, la production artistique, les rapports entre les citoyens, etc...

L'apparente antithèse entre les démocraties bourgeoises et les socialistes [Nous considérons ici les modèles européen de démocratie socialiste parceque, pour les pays asiatiques, africains et latino-américains, d'autres éléments doivent être introduits pour expliquer efficacement 1e développemente politique présent.] se dissout - comme un mur de glace - en face de cette caractéristique dominante productive et de consommation.
Alors que dans les démocraties bourgeoises le moment prioritaire est représenté par celui qui possède le pouvoir économique, et par conséquent possède le pouvoir politique (celui qui possède, commande), dans les démocraties socialistes, il est constitué par celui qui a le pouvoir politique, à disposition il a le privilège de la fonction politique. Ces mêmes moyens de production qui, dans le camp soi-disant opposé, forment le patrimoine des bourgeois.

Il y a d'un côté les détenteurs du capital, lesquels possèdent - au nom de la liberté, de la justice, de l'ordre - le pouvoir politique et font tout pour le conserver, à l'augmenter pour développer leur capital ; de l'autre côté, les seuls détenteurs du capital, qui en se servant de plusieurs images de marque font de la publicité pour le même produit. La structure économiste du procès "abnorme" production-consommation est par conséquent présente des deux côtés.

La nouvelle classe des technocrates, qui semble-t-il est en train de faire surface dans la société soviétique, partout à la conquête de la direction "politique" des pays socialistes, n'a rien à envier dans ses intentions aux sorciers de l'industrie bourgeoise de l' "Occident libre".
Ici nous ne désirons pas analyser - même brièvement - les implications impérialistes de tels systèmes dont la nécessaire logique place la solution de l'assaut impérialiste comme véhicule, fatal et unique, de protection du système capitaliste.
Il ne faut donc pas s'étonner si à l'instar de la Société bourgeoise, même dans la société socialiste les fonctions du pouvoir se qualifient et s'expriment exclusivement en termes de richesse - il ne pourrait en être autrement - lorsque l'on n'attribue à l'Etat que 1a fonction d'ordinateur de richesse (d'ailleurs, quels Etats en dehors d'eux-mêmes les bourgeois et les prolétaires pourraient-ils fonder ?) ; lorsque la fonction de l'Etat n'est que d'exciter à la richesse, à s'emparer de la richesse et à proposer exclusivement la satisfaction des besoins physiques de l'existence végétative (en incluant aussi,répétons-le, dans le terme de "physiques" ces complications échevelées que le bourgeois se complaît à considérer comme des besoins "spirituels").

Dans les deux modèles, par conséquent, le phénomène semblable admet seulement des variantes sans importance ; une tension qui oppose des bourgeois aux prolétaires d'une part, tension qui oppose les bureaucrates (les fonctionnaires technocrates) aux gouvernés, d'autre part.

D'un côté la propriété privée qui n'est pas comprise dans l'Etat (c'est-à-dire, qui ne se limite pas à représenter l'un des coefficients organisatifs de l'Etat), mais qui est l'Etat lui-même, l'Etat étant la "propriété des propriétaires" ; de l'autre côté, la propriété d'Etat qui se résoud dans la propriété de celui qui administre l'Etat ; l'Etat et l'égalité abstraite se résolvent en une prévarication bureaucratique et technocratique.

A ce point, il serait ridicule d'opposer à cette analyse le subtil "distinguo" selon lequel à une identité sur le plan des résultats entre deux formes organisatives - la bourgeoise et la socialiste - il ne correspondrait pas de substancielle identité sur la plan des "principes", selon lequel, alors que le rapport entre exploiteur et exploité serait la conséquence typique et normale, dérivant nécessairement de la prémisse du système capitaliste bourgeois, l'exploitation du gouverné par le gouvernant dans le système capitaliste socialiste devrait être qualifié de disfonction "abnorme" et de dégénération sans rapport avec l'essence même du système ! La vérité, par contre, c'est que l'essence dans les deux phénomènes est identique parce que les principes sont les mêmes : l'économie c'est le destin de l'homme, l'unique réalité élémentaire – essentielle - de l'homme, son unique dimension existentielle.

Cette réalité primordiale, ayant dans son propre centre l'image éternelle du tube digestif (un tube avec deux ouvertures : l'une pour avaler et l'autre pour évacuer, d'autres ouvertures éventuelles ne servant qu'à embellir ou à faciliter la "bonne digestion" et à stimuler les sécrétions gastriques lorsque cela s'avère nécessaire), admet cependant deux interprétations diverses de voracité : l'une selon laquelle tous les tubes digestifs sont égaux [En ce cas l'orientation est choisie du côté du "principe de la société
du bien-être égal pour tous" : le troupeau des égaux.], l'autre selon laquelle tous les boyaux ne sont pas égaux, mais les uns sont gros et les autres plus étroits (et c'est pourquoi il est opportun que la justice, l'ordre, etc, etc... veillent afin de ne point provoquer une dangereuse dilatation "subversive"[Sans doute dans cette hypothèse, l'objectif sera représenté par la société de bien-être "différencié" .]).

A suivre...

La désintégration du Système, Giorgio Freda

Publié dans Giorgio Freda, libéralisme

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article